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Les ambitions de Sami et Yanis Tas, la relève alsacienne du karaté français

Textes : Amaury PRIEUR; photos : Jean-Marc LOOS; édition : Jérôme GIL

Premier Alsacien à être sacré champion de France de karaté depuis 1991, Sami Tas (22 ans) ambitionne de devenir n°1 mondial dans sa catégorie de poids (-60 kg).

Son frère,Yanis (20 ans, -67 kg), poursuit exactement le même objectif.

Leurs parents, Céline et Ahmed, sont prêts à tous les sacrifices.

Les frères Tas, destins liés

On peut dire qu’ils ont de qui tenir ! Fils de l’ancien international français Ahmed Tas (-67 kg), cinquième à l’Euro-1992 au Portugal et vainqueur de nombreux tournois d’envergure (Suisse, Allemagne, Autriche, Italie, Hongrie…), Sami et Yanis ne se contentent pas de marcher dans les pas de leur papa. « Cela fait un moment qu’ils m’ont dépassé, sourit le coach du Stadium Olympique Strasbourg (48 ans). En termes de technique, d’intelligence et de vitesse, ils ont un bagage de fou. »
Le premier, du haut de ses 22 printemps, est devenu champion de France senior de karaté en -60 kg, début mars à Bourges, ce qui n’était pas arrivé à un Alsacien depuis l’époque de Gilles Ihle (+84 kg), sacré en 1991. « J’en suis très fier, confie-t-il. C’est important de marquer l’histoire de son sport dans sa région. »

Son frère, Yanis, est tout autant programmé pour gagner. Le 2 avril, à Villebon-sur-Yvette (Essonne), il décrochait, presque sans sourciller, le titre hexagonal chez les espoirs.

En janvier dernier, c’est dans la cour des grands qu’il s’illustrait, en se couvrant de bronze à l’Open de Paris, une « compétition internationale de grande renommée ». L’aîné, Sami, en avait atteint la finale un an plus tôt… « Si l’un d’entre nous traverse une phase d’échec, généralement, l’autre continue à être performant, expliquent, en chœur, les frangins. Lorsqu’on effectue un déplacement ensemble, on considère qu’on a deux chances de médaille. Et on rentre rarement bredouille. »

De fait, leurs destins sont liés. Partenaires d’entraînement depuis leur plus jeune âge, Yanis et Sami ont « besoin l’un de l’autre » pour avancer. « Quand je n’ai pas de compétition, lui en a une et vice versa, synthétise le second nommé. On n’a jamais pu se permettre de lâcher et aujourd’hui, arrêter le karaté n’est même plus une option. Le plus long repos que je me suis accordé a duré cinq jours… »

« Au bout de quarante-huit heures, je ressens un manque et l’envie de retourner à l’entraînement est trop forte », glisse pour sa part le cadet de la fratrie.

Jusqu’à présent, rien ne les arrête. Et même les pépins physiques n’ont pas entamé leur détermination. « En 2016, en faisant un mouvement, je me suis fracturé le disque intervertébral et j’en ai eu pour cinq ou six mois de convalescence, raconte Sami. J’ai aussi subi un gros K.-O. en 2015, avec un traumatisme crânien, quatre dents cassées et une perte de mémoire… »

Le karaté a beau être un sport très réglementé, la vitesse des enchaînements est telle qu’il n’est jamais exclu de recevoir un mauvais coup. « On a l’habitude de combattre blessé, résume Yanis. Plus jeune, j’avais souvent des élongations aux ischio-jambiers et ça ne m’a pas empêché d’obtenir des médailles. »

« Nos revenus servent en priorité à payer les déplacements de Sami et Yanis, quitte à remplir le frigo après ! »

Ahmed Tas, leur papa et entraîneur

Dans la famille Tas, on se donne les moyens de réussir. Les parents, Céline et Ahmed, n’ont pas hésité à aménager un petit dojo à… domicile, dans leur village de Sentheim, pour favoriser la progression des enfants. Ces derniers s’entraînent également au complexe sportif Brigitte, dans le quartier de Hautepierre, sur les tatamis du Stadium Olympique Strasbourg, un club dont leur maman assure la gestion administrative tandis que leur papa y donne des cours.

Le reste du temps, les deux frères sont en vadrouille… Du Japon au Rwanda, en passant par le Mexique, la Chine, le Chili, le Maroc, le Canada et la quasi-totalité du continent européen, ils enchaînent les tournois estampillés K1 Premier League ou Series A, qui rassemblent la crème du karaté international. Le hic, c’est que les primes attribuées sont tellement dérisoires (le vainqueur touche 500 euros) qu’elles ne suffisent pas à compenser les frais engendrés.
« Quand on en parle avec d’autres sportifs, ils nous disent que ça ne vaut pas le coup », souffle Sami, qui a malgré tout emmagasiné très vite de beaux souvenirs sur le circuit, à commencer par cette médaille d’argent en Égypte en 2021.

La famille Tas, elle, accepte de voir ses économies englouties dans les billets d’avion et autres hôtels réservés pour les deux fistons. « Si on vise le haut niveau, il faut faire le nécessaire, chacun à notre échelle, tranche Céline, la maman (45 ans). J’exerce le métier de secrétaire comptable, mon mari est coach sportif et nos revenus servent en priorité à payer les déplacements de Sami et Yanis, quitte à remplir le frigo après ! Ça reste une pression pour eux. À chaque fois qu’ils s’en vont quelque part, on s’appauvrit. Et la dernière fois qu’on a pris des vacances, ils devaient avoir 4 et 2 ans…

Ça peut paraître fou, mais je me dis qu’ils me rendront tout ça plus tard, en s’occupant de moi lorsque je serai vieille (sourire). Je ne peux pas avoir de regrets, car le sport génère des émotions que l’on ressent rarement ailleurs. Et quand il s’agit de ses propres gosses, c’est encore mieux. »

« Quand je regarde des vidéos de moi d’il y a quatre mois, j’ai l’impression que j’étais nul ! »

Pour leur permettre de vivre leur rêve, même les grands-parents, qui habitent au rez-de-chaussée de la maison familiale, ont déjà mis la main à la poche. « Notre papy est notre premier fan », s’amuse Yanis.

La Fédération, de son côté, ne finance que les voyages dédiés aux équipes de France. Cette semaine, elle emmène d’ailleurs Sami Tas à… Cacak, au cœur de la Serbie. L’Alsacien y disputera samedi la Golden Belt, une succession de combats face à des adversaires qu’il ne connaît pas. Il devra alors convaincre ses entraîneurs nationaux (Alexandre Biamonti, Nadir Benaissa et Olivier Beaudry), mais aussi le directeur des Bleus, Yann Baillon, qu’il mérite davantage sa place aux championnats méditerranéens, prévus du 19 au 21 mai à Tunis, que son concurrent tricolore Rayane Meziane (un autre Français, Ahmed El Amine Hellal, est d’ores et déjà sélectionné pour les championnats méditerranéens par la Fédération, qui a également misé sur lui pour l’Euro à Guadalajara, en Espagne, fin mars (éliminé au 3e tour).

« J’y vais pour tout casser, prévient-il. Je sais que ce sera dur, mais je n’ai peur de personne. »

Sami Tas l’a prouvé, fin janvier au Caire, lors de la première étape de l’année en K1 Premier League, en dominant l’Italien Angelo Crescenzo, médaillé d’or aux Mondiaux 2018 et fraîchement sacré champion d’Europe, le mois dernier à Guadalajara (Espagne).

À l’image de son rival transalpin, le licencié du Stadium Olympique Strasbourg n’a pas d’autre ambition que d’être un jour le roi de la planète en -60 kg. « Je veux être le meilleur dans ce sport », lance-t-il très sérieusement. Les prochains Mondiaux, du 24 au 29 octobre 2023 à Budapest, sont naturellement dans son viseur.

Pour Yanis, la donne n’est pas tout à fait la même. Le jeune homme a beau avoir un potentiel identique à celui de son frère, tout en développant un karaté très différent, il doit composer chez les -67 kg avec l’ombre envahissante de la star des Bleus, Steven Da Costa, double champion du monde (2018, 2021), médaillé d’or aux JO de Tokyo et une nouvelle fois intouchable lors du dernier Euro, où il a été couronné pour la troisième fois de sa carrière (2016, 2019, 2023). « S’il faut que je monte dans la catégorie supérieure (-75 kg) pour être numéro 1, je n’hésiterai pas », indique la petite pépite, qui se concentre à court terme sur le circuit K1.

Ce combat dont on n’oubliera jamais la conclusion et qui a scellé le destin de notre champion olympique ❤ Revivez les quelques actions de ce moment d’anthologie 🤩 Équipe de France Olympique et Paralympique Steven Da Costa #Tokyo2020 🎬 Olympics

« Mes fils ont fini leur croissance osseuse, se réjouit de son côté Ahmed Tas. On va pouvoir pousser la machine et taper dans les muscles. »

Une manière, pour le papa, de rappeler qu’il n’a pas fini de façonner ses deux champions et que leur marge de progression est énorme. « On évolue très rapidement, apprécie Yanis. Quand je regarde une vidéo de moi d’il y a quatre mois, j’ai l’impression que j’étais nul ! »

« C’est aussi pour ça qu’on est craint. Le karaté est un petit milieu, et pour en avoir discuté avec d’autres athlètes, on sait qu’aucun ne s’entraîne autant que nous (deux fois par jour, ndlr) », affirme Sami, qui parvient à concilier sa passion avec son BTS immobilier, tandis que son frère a déjà ouvert sa microentreprise dans le même secteur. « Ça nous arrive assez souvent de programmer des séances à 5h du matin, reprend l’aîné. On arrache des victoires par le travail à ceux qui misent tout sur leur talent. »

« Ils n’ont pas eu une vie d’enfant traditionnelle, rembobine leur maman. Ils rentraient de l’école, faisaient leurs devoirs et allaient au dojo. Mais le haut niveau leur a apporté une hygiène de vie, et même en termes d’éducation, ça aide. Aujourd’hui, je ne rencontre pas les problèmes que d’autres mères peuvent avoir avec des enfants de cet âge. »
Céline Tas n’était pas pour autant rassurée, lorsqu’elle a dû un jour guider à distance Sami, « paumé dans une rue à Moscou ». Elle a même complètement « flippé », en 2019, quand elle a appris que des émeutes étaient en train d’éclater au Chili, au moment même où ses deux garçons y disputaient les championnats du monde jeunes…
L’histoire ne dit pas encore si le petit dernier de la famille, Djibril, empruntera le même chemin. Mais à 9 ans, le voilà déjà champion d’Alsace de karaté. Dans la famille Tas, on a décidément ça dans le sang !

Deux garçons très différents sur le tatami et en dehors

Aux yeux de leur papa Ahmed, Sami et Yanis Tas ont au moins « un truc en commun : la volonté ». « Ils transforment les mots en actes et s’entraînent dur depuis l’âge de 8 ans. Quand je les regarde, je dis chapeau. »

Les deux frères ont l’avantage d’être unis comme les doigts de la main, alors même que leurs personnalités ne se ressemblent pas du tout. « Yanis est quelqu’un de cool, qui cherche à éviter les conflits. Sami, lui, est un leader : quand il lance un débat, il faut que tout le monde soit d’accord avec lui », sourit le paternel.

Ces traits de caractère ont tendance à rejaillir sur le tatami. Tandis que le cadet opte pour un karaté « intelligent et usant », à base de « changements de rythme », l’aîné, lui, semble parfois « en colère » et porte des « coups très virils », pour ne pas dire « violents », selon les propres mots de son père. Le premier est endurant, peut « gagner avec les poings comme avec les pieds » et n’hésite pas à « pourrir le combat », en « jouant avec le règlement ». Le second « prend des risques » et propose un « karaté champagne » qui séduit le public. Reste l’essentiel : Sami et Yanis n’ont pas le même style, mais au quotidien, ils ne font qu’un.

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Comme le nombre de combats – d’une durée de trois minutes chacun – remportés par Sami Tas pour devenir le premier Alsacien sacré champion de France de karaté depuis 32 ans, après Gilles Ihle en 1991. « Un coup de poing au visage ou au corps rapporte un point, un coup de pied au corps deux points, rappelle Ahmed Tas, père et entraîneur de Sami. Un coup de pied au visage ou un balayage suivi d’une technique avec le poing ou le pied valent trois points. Celui qui accumule le plus de points est déclaré vainqueur, et s’il y a huit points d’écart entre deux adversaires, le combat s’arrête.»

100

Tel est, en karaté, le nombre de points attribués au vainqueur, dans les différentes compétitions internationales (70 pour le deuxième, 40 pour le troisième…). Ce chiffre est multiplié par un coefficient, qui varie en fonction du prestige de l’épreuve : 12 pour les Mondiaux, 6 pour les championnats d’Europe, 6 pour les tournois de Premier League, réservés au top 32 planétaire dans chaque catégorie de poids, et 5 pour les étapes de Series A, ouvertes aux 100 meilleurs. « Chaque combat gagné rapporte par ailleurs dix points, fois le coefficient », explique Ahmed Tas, le coach du Stadium Olympique Strasbourg, dont les fils Sami et Yanis se produisent un peu partout à travers le globe.

Un classement mondial est établi et chaque mois, les karatékas « perdent 50% des points » qu’ils ont acquis « le même mois de l’année précédente ».

Le karaté privé des JO-2024 à Paris : « J’ai pris ça comme une agression »

C’est peu dire que le Comité d’organisation des JO de Paris a porté un coup très dur au karaté, en 2021 juste après les Jeux de Tokyo, en l’excluant de la liste des sports représentés en 2024. La discipline, fraîchement devenue olympique au Japon pour la première fois de son histoire, retourne dans l’ombre.

« Après la médaille d’or du Français Steven Da Costa à Tokyo, on était sûr que le karaté serait à nouveau retenu », soupirent les frères Sami et Yanis Tas, qui rêvent de devenir n°1 mondiaux dans leurs catégories de poids respectives.
Leur père et entraîneur, Ahmed, ne décolère pas. « Je suis dégoûté, s’emporte-t-il. Notre fédération compte 250 000 licenciés et on nous a claqué la porte au nez. Personnellement, j’ai pris ça comme une agression. Je pense à mes fils, évidemment, mais aussi à tous les autres enfants qui pratiquent ce sport. Le karaté est notre passion. Savoir qu’on est reconnu, passer à la télévision, c’est important pour nous. Là, c’est comme si on supprimait la Coupe du monde aux amateurs de foot… »

Le karaté sera-t-il réintégré pour les JO-2028 à Los Angeles ? Comme le veut la procédure, le Comité international olympique devrait avaliser lors de sa prochaine session, programmée du 15 au 17 octobre 2023 à Mumbai (Inde), la liste proposée par le pays organisateur, les États-Unis en l’occurrence.

Ahmed Tas, lui, ne cache pas son inquiétude : « Les Américains récoltent traditionnellement beaucoup de médailles, mais pas en karaté… » Ont-ils seulement un intérêt à promouvoir une discipline dans laquelle ils ne brillent pas ?

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